Au milieu de la confusion qui caractérise notre époque, il nous paraissait utile de prendre un peu de recul pour nous interroger sur le sens qui se cache peut-être derrière la remontée des ventes de livres, après dix années de remises en question.

Enfermés plusieurs mois, limités dans nos déplacements pendant deux ans, le livre a été pour beaucoup le meilleur compagnon de leurs confinements. Ce retour en grâce du livre face aux mastodontes médiatiques est une bouffée d’oxygène pour nos métiers. Et le regain de la lecture, cette activité silencieuse et déconnectée, ce « vice impuni » comme écrivait ironiquement Valéry Larbaud, est peut-être le signe que quelque chose de plus profond se passe.

Plutôt que de chercher un sens caché à l’évolution des médias au cours des âges, comme le fit McLuhan, il nous semblait utile de repartir encore plus loin en arrière pour comprendre ce que fut l’invention de l’imprimerie, le contexte dans lequel elle est née et les changements qu’elle a permis d’opérer dans la vie intellectuelle.

En faisant un retour dans le passé, on réalise que le livre est né bien avant l’invention de Gutenberg en 1450. Nous vous proposons ici, une brève chronologie, qui remettra en perspective ce qui fut, en réalité, un long processus.

Par Simon Dulac,
Président de Rapido Livres

La longue histoire de l’imprimerie

Les idées nouvelles naissent bien souvent lorsque l’évolution des mœurs, les besoins des individus et l’état des savoir-faire se rencontrent. C’est de cet emboîtement que jaillissent les inventions. C’est ainsi que notre rapport à la technique a changé notre rapport au monde. Voici donc une brève histoire des transformations de l’écrit au cours des âges, qui ont rendu possible et nécessaire l’avènement de l’imprimerie.

À l’origine, l’écrit était avant tout un instrument de pouvoir. Il fut utilisé par les scribes égyptiens pour fixer et conserver la trace des bases de calcul de l’impôt, sur des supports tels que les tablettes d’argile, l’écorce de bouleau et le papyrus.

3 000 ans avant J-C : Ce fut le papyrus qui marqua le premier progrès pour l’écrit qui jusque-là se contentait de tablettes d’argiles. Constitué de feuilles de papyrus collées les unes aux autres, le volumen s’enroulait sur lui-même et n’était pas plié, en raison de sa fragilité. D’une longueur courante de 6 à 8 mètres, il pouvait même parfois dépasser les 30 mètres. Sa hauteur était quant à elle comprise entre 30 et 40 centimètres.

A noter : la recette de la fabrication du papyrus était un véritable secret d’Etat pour le pouvoir égyptien. Il fut si jalousement gardé qu’il se perdit lors de l’effondrement de cette civilisation.

Histoire de l'imprimerie - Volumen
Source : Cultea

200 ans avant J-C : Le codex fut la première forme comparable à celle du livre actuel, avec des cahiers cousus à base de feuilles de papyrus ou de parchemin. Il offrait l’avantage de permettre un feuilletage non linéaire, contrairement au volumen en rouleau. Le codex est vraiment l’ancêtre du livre relié.

A noter : La lecture sur tablette électronique est plus proche du volumen que du codex. Le papier conserve un avantage en matière de feuilletage par rapport à la tablette électronique.

Histoire de l'imprimerie - Xylograpgie

VIIe siècle : C’est à cette époque que l’imprimerie fut inventée en Chine. Grâce à ce média, la culture chinoise se diffusa plus aisément en Asie, ainsi que la religion bouddhiste en Corée puis au Japon. Il s’agissait uniquement de plaques de bois sculptées à l’envers : on appelle ce procédé la xylographie.

Xe siècle : L’impression en plusieurs couleurs se développa en Asie. A cette époque, l’Empire turc imprimait également, sans doute grâce aux connaissances acquises au cours de ses incursions conquérantes et de ses échanges commerciaux avec l’Asie. Au XVe siècle, le sultan finit cependant par interdire l’imprimerie, sous peine de mort, au motif que les caractères arabes étaient sacrés. C’est ce qui permit à l’art du manuscrit de durer dans l’Empire Ottoman jusqu’au début du XXe siècle.

XIe siècle : Grâce aux échanges avec l’Asie, on commença à produire du papier en Europe. Simultanément, les premiers caractères mobiles en terre cuite furent utilisés en Asie, ce qui permit d’accélérer le travail de mise en page. Il existait aussi à cette époque des caractères mobiles en bois, comme la typographie en utilisera plus tard pour les titres en gros caractères des affiches. C’est à cette époque qu’apparurent les premiers billets de banque et même les premières publicités sur papier.

Histoire de l'imprimerie - Caractères mobiles en bois
Source : CGTN

XIIIe siècle : Invention des premiers caractères mobiles en métal en Corée.

XVe siècle : Pendant que Gutenberg travaillait sur son invention, les Japonais découvrirent, en envahissant la Corée, les techniques d’impression en caractères mobiles et créèrent leurs premières maisons d’édition dans l’archipel. A la même époque, certains missionnaires jésuites s’approprièrent ces compétences pour diffuser des textes religieux au Japon.

1450 : Gutenberg ouvrit la première imprimerie de livres à Mayence. Son génie résida dans sa capacité à rassembler tous les savoir-faire nécessaires pour faire fonctionner le premier système de production d’imprimés en série.

Les inventions que l’on doit à Gutenberg

On peut résumer l’œuvre de Gutenberg de cette façon :

– Il fut celui qui inventa la presse à vis, grâce à ses connaissances acquises dans le domaine de la charpente. Cette technique d’impression constitua une amélioration décisive par rapport à la technique du frotton utilisée jusque-là par les imprimeurs asiatiques. Le frotton était un tampon de chiffon que l’on pressait contre le verso de la feuille pour transférer l’encre sur le papier ;

– Le vrai coup de génie de cet inventeur fut la mise au point des poinçons. C’est grâce à son expertise en matière d’orfèvrerie qu’il conçut le principe de la matrice de cuivre qui recevait le mélange de plomb, d’étain et d’antimoine pour produire les caractères mobiles ;

Histoire de l'imprimerie - Presse à vis
Source : Alamy

– C’est lui également qui mit au point la recette de l’encre grasse, plus adaptée à la presse que l’encre de Chine trop liquide ;

Histoire de l'imprimerie - Johannes Gutenberg

Source : Wikipedia

– C’est finalement Gutenberg qui rationalisa toutes les techniques nécessaires à la production de livres et les regroupa en un seul métier, celui de maître imprimeur, à la fois fondeur de caractères et imprimeur ainsi que relieur de livres ;

– Pour couronner le tout, Gutenberg se lança avec audace dans le projet de l’impression de la Bible. Composée de deux tomes de 600 pages chacun, la production des 180 premiers exemplaires de la Bible dura 3 années, durée pendant laquelle un moine copiste ne produisait qu’un seul exemplaire.

Histoire de l'imprimerie - Johannes Gutenberg

Source : Wikipedia

Malheureusement l’ingéniosité et l’esprit novateur de Gutenberg ne furent pas récompensées à leur juste valeur. Sa vie connut un dénouement assez funeste. Poursuivi par Fust, son mécène, qui était contrarié par les mauvaises ventes de la Bible, Gutenberg perdit son atelier et ses machines à la fin du procès qui opposa les deux associés.

C’est finalement son ancien apprenti, Peter Schoeffer, qui reprit les choses en main. Gutenberg disparut dans l’anonymat. Schoeffer réalisa de remarquables travaux d’impression qui font encore référence aujourd’hui. C’est lui également qui instaura la Foire du livre de Francfort, à laquelle des éditeurs du monde continuent à se rendre chaque année.

Le livre est né de l’appétit grandissant pour la connaissance

Si le livre est né en pleine Renaissance, c’est avant tout parce qu’il existait à cette époque un appétit formidable pour les connaissances. L’augmentation de la demande de manuscrits est née du développement des universités. L’imprimerie a été créée à cet instant précis de l’histoire. L’humanité progresse lorsqu’elle a un projet et régresse quand elle n’en a plus.

Mais l’expansion commerciale et l’importance croissante de toutes sortes de documents écrits ont également joué un rôle important en favorisant une utilisation de plus en plus fréquente du support papier :

  • La création des premières bibliothèques dans les universités est intervenue à la fin du Moyen-Âge. Comme elles formaient de plus en plus d’étudiants, elles réclamèrent de plus grandes quantités de copies. C’est la pecia, technique de recopie des livres en série qui favorisa la création de ces premières bibliothèques ;
  • Le développement de l’administration, du notariat et bien entendu du commerce, engendrèrent un accroissement du nombre de documents ;
  • Avec la progression du commerce international, le recours à la lettre de change devint de plus en plus fréquent.
Source : World History

Fait intéressant, l’augmentation de la demande de livres donna également naissance aux premières librairies marchandes qui proposaient, de leur propre initiative, certaines copies à la vente. Ces commerces furent en quelque sorte les premières maisons d’édition, qui précédèrent donc l’invention de l’imprimerie.

Nous ne mesurons pas assez l’importance du papier dans les progrès de notre civilisation : le papier est devenu le support indiscutable de notre mémoire à la fois pour le savoir, la finance et les actes juridiques. Notre culture est bien une culture de l’écrit, dans laquelle toutes les structures sociales reposent sur la valeur incontestable des textes imprimés. Notre époque qui perd de plus en plus la mémoire ferait bien de s’en souvenir au moment où elle aborde des rivages incertains.

L’imprimerie fut-elle une révolution ?

Selon Victor Hugo, l’imprimerie fut la « révolution mère ». Il écrit ce très beau texte dans Notre Dame de Paris :

« Au XVe siècle tout change. La pensée humaine découvre un moyen de se perpétuer, non seulement plus durable et plus résistant que l’architecture, mais encore, plus simple et plus facile. L’architecture est détrônée. Aux lettres de pierre d’Orphée vont succéder les lettres de plomb de Gutenberg. Le livre va tuer l’édifice. L’invention de l’imprimerie est le plus grand événement de l’histoire. C’est la révolution mère. C’est le mode d’expression de l’humanité qui se renouvelle totalement. C’est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre. C’est le complet et définitif changement de peau de ce serpent symbolique qui, depuis Adam, représente l’intelligence. Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais, elle est volatile, insaisissable, indestructible, elle se mêle à l’air. Du temps de l’architecture elle se faisait montagne et s’emparait puissamment d’un siècle et d’un lieu. Maintenant elle se fait troupe d’oiseaux et s’éparpille aux quatre vents et occupe à la fois tous les points de l’air et de l’espace. Nous le répétons : qui ne voit que de cette façon elle est bien plus indélébile. De solide qu’elle était, elle devient vivace. Elle passe de la durée à l’immortalité. »

L’invention de l’imprimerie est le plus grand événement de l’histoire. C’est la révolution mère. C’est le mode d’expression de l’humanité qui se renouvelle totalement.

C’est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre.

Victor Hugo
Mars 1831
Notre Dame de Paris

C’est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre.

Victor Hugo
Mars 1831
Notre Dame de Paris

Le lyrisme de Victor Hugo nous en dit plus sur son époque, que sur ce que fut réellement l’invention de l’imprimerie. Au XIXe siècle les grands esprits se présentèrent souvent comme les prophètes d’un monde nouveau, annonçant le progrès matériel et moral de l’humanité comme une sorte d’assomption de l’humanité.

Sans nous lancer dans des analyses compliquées, il faut admettre que nous avons souvent tendance à idéaliser l’innovation. Par exemple, lorsque nous l’appelons « révolution », nous affirmons avant tout notre conviction qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel. Et ce fut bien le cas.

On ne peut pas ignorer non plus, que l’imprimerie a offert à la Réforme protestante un outil efficace pour secouer le joug moral de la papauté, pour diffuser ses idées nouvelles et faire de l’accès direct aux textes une voie idéale pour l’éducation des consciences. En 1517, lorsque Lüther publia sa Dispute sur la puissance des indulgences, appelée aussi 95 thèses, l’Allemagne comptait déjà plus de 200 imprimeries. Et il s’était déjà imprimé plus de 20 millions de livres à travers toute l’Europe, ce qui est considérable comparativement à la petite centaine de millions de personnes que comptait le continent à l’époque, qui étaient en majorité analphabètes.

Histoire de l'imprimerie - Réforme protestante
Source : WikiRouge

Sans nul doute, le livre est un des socles de notre civilisation. En accélérant l’alphabétisation, l’imprimerie de livres a permis à un nombre grandissant de femmes et d’hommes de sortir de l’ignorance, puis a progressivement favorisé la libération des consciences. Ce n’est pas un hasard si le livre est encore aujourd’hui au cœur de l’éducation des enfants et de la formation des adultes.

Le regain du support papier pour la lecture, dit quelque chose d’important sur ce que le livre représente encore dans notre culture.

Le grand écrivain Jorge Luis Borges n’écrivait-il pas : « De tous les instruments de l’homme, le plus étonnant est, sans aucun doute, le livre. Les autres sont des prolongements de son corps. Le microscope et le télescope sont des prolongements de sa vue ; le téléphone est un prolongement de sa voix ; nous avons aussi la charrue et l’épée, prolongements de son bras. Mais le livre est autre chose : le livre est un prolongement de sa mémoire et de son imagination. »

Source : Wikipedia

Les liens indissociables du livre avec la liberté

Ce petit résumé historique nous permet de mesurer à quel point les métiers de l’édition et de l’imprimerie s’inscrivent dans une longue évolution, jalonnée de hasards, parfois d’échecs, mais aussi de découvertes surprenantes et de transformations imprévisibles. Instrument de pouvoir, l’écrit a tout d’abord été confisqué par les scribes, puis jalousement conservé par les élites politiques et religieuses, convaincues que le savoir ne devait pas être partagé.

Contre toute attente, l’écrit est finalement devenu à la Renaissance le premier instrument de diffusion des connaissances. Il s’est étendu à toutes les couches de la société grâce à des mouvements qui ont traversé la société, tels que l’humanisme, la Réforme Protestante puis l’esprit des Lumières.

L’idée d’un progrès de l’humanité est indissociable de l’écrit. On peut affirmer que le livre aura fait reculer l’ignorance plus que n’importe quelle autre invention.

Les bonnes ventes de livres de 2020 à 2022 sont un signe encourageant pour nos métiers. Cela nous dit peut-être aussi que l’écrit jouera encore un rôle majeur pour la revitalisation de la vie intellectuelle de notre culture, à une période clé de notre histoire. Pour paraphraser Borges, le livre répond à notre besoin d’identité, mais il constitue également un espace où l’imagination et la pensée sont capables d’ouvrir de nouveaux espaces.

Il y a dix ans, le déclin du livre papier semblait inéluctable. Malmené par les médias numériques, marginalisé par les outils connectés, bousculé par les méthodes commerciales d’Amazon, il s’est montré particulièrement résilient. Il aura résisté au tsunami digital qui devait le balayer sur son passage. Une certaine lassitude des écrans commençant à poindre, on peut imaginer que le rebond du support papier puisse se poursuivre dans les prochaines années.

Plus fondamentalement encore, notre culture repose sur le lien profond que l’écrit entretient avec la liberté. A l’heure où les médias numériques deviennent de plus en plus des outils au service de la publicité, sous toutes ses formes, le livre demeure un espace préservé, où l’auteur peut imaginer et créer sans contrainte d’audience, où le lecteur dispose encore d’un peu de recul pour penser ou s’émouvoir à sa mesure, à l’abri des influenceurs et des censeurs de tous bords qui le pressent de réagir.

Source : Wikipedia
Dans son livre La crise de l’esprit, paru en 1919, Paul Valéry tentait une analyse audacieuse et lumineuse du rôle de la parole, comme une activité de l’esprit reposant sur la confiance : « Croire à la parole humaine, parlée ou écrite, est aussi indispensable aux humains que de se fier à la fermeté du sol. » Dans ces pages qui témoignent d’une grande élévation de l’esprit, il accordait au papier des qualités extraordinaires : « Le papier, vous le savez, joue le rôle d’un accumulateur et d’un conducteur ; il conduit non seulement d’un homme à un autre, mais d’un temps à un autre, une charge très variable d’authenticité ou de crédibilité. »

Dans notre époque bruyante, bouleversée et uniformisée à force de numérisation, nous pouvons affirmer que le livre est sans doute l’un des derniers lieux où la parole peut encore s’imprimer avec confiance, où elle peut encore échapper au nivellement opéré par l’industrialisation du monde. « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant. » écrivait le poète René Char.

La conclusion de Valéry sonne comme un engagement de l’homme de lettres à se battre pour que l’intelligence puisse encore s’exprimer : « Il faut conserver dans nos esprits et dans nos cœurs, la volonté de lucidité, la netteté de l’intellect, le sentiment de la grandeur et du risque, de l’aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain… s’est engagé. »

Nous entretenons un lien sacré avec l’écrit.

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