Par Simon Dulac,
Président de Rapido Livres

Un récent article du journal Le Monde intitulé « La rentrée littéraire fait des tonnes d’invendus », a levé le voile sur un secret bien gardé : la mise au pilon des livres invendus. En période de restrictions, cette incohérence pourrait devenir incompatible avec les mesures de sobriété imposées au grand public.

Le journaliste écrit : « Le monde de l’édition s’est construit sur une logique de surproduction avec deux objectifs : la visibilité et la réduction du coût de fabrication à l’unité. » Les éditeurs sont effectivement pris en tenaille entre ces deux objectifs. Ils marchent sur un fil lorsqu’il s’agit de déterminer les prévisions de vente, ce que J.-C. Grünstein, directeur commercial de Gallimard, confirme en disant qu’il s’agit d’« un travail impressionniste ». Un de nos clients, Jay Millar l’éditeur de Book*hug Press, possède à peu près le même point de vue : « C’est un exercice d’équilibriste, vous espérez toujours que vous avez choisi le bon chiffre. »

Les facteurs de déstabilisation

La pandémie de COVID-19 nous a permis de prendre conscience que nous étions devenus extrêmement dépendants d’autres pays pour des biens aussi simples que des masques. C’est également vrai pour le papier. Pour des raisons trop complexes à analyser ici, toutes les chaînes logistiques au niveau mondial sont aujourd’hui désorganisées. En fait de grand reset, nous avons affaire actuellement à des retards de livraison et à des augmentations en cascade des tarifs.

Par Simon Dulac,
Président de Rapido Livres

Si l’on y ajoute la priorité donnée par les producteurs à leurs marchés nationaux et la relative standardisation de leurs catalogues de produits, nous sommes parvenus à un résultat qui est à l’inverse de ce que le credo économique nous répétait depuis longtemps, à savoir que la loi des avantages comparatifs chère à David Ricardo, devait nous permettre d’augmenter nos achats en faisant baisser nos coûts de façon continue. Nous sommes plus proches d’une forme de chaos commercial que d’autre chose.

David Ricardo

Économiste et philosophe britannique du début du XIXe siècle considéré comme l’un des économistes libéraux les plus influents de l’école classique, il mit au point quelques notions essentielles de l’économie libérale : notamment la valeur d’usage qu’il faut distinguer de la valeur d’échange, l’étalon-or pour la création de monnaie et l’avantage comparatif qui a permis de théoriser les échanges internationaux.

Source : Wikipedia

Si nous voulons nous rendre compte de l’ampleur du bouleversement des équilibres internationaux, nous devons nous débarrasser de deux biais dans nos raisonnements :

  • Premièrement, nous n’avons pas assez conscience que, depuis la crise financière de 2008, les échanges mondiaux n’ont jamais retrouvé les niveaux qu’ils avaient auparavant ;
  • Deuxièmement, nous bâtissons trop souvent nos réflexions sur le buzz ambiant, qui n’a, bien entendu, qu’un très lointain rapport avec la réalité.
Enfin, depuis février 2022, la guerre russo-ukrainienne a ajouté un nouveau facteur de tension à tout cela : une crise de l’énergie. D’un conflit militaire local, nous sommes vite passés à une guerre économique mondiale dont l’une des conséquences sera inévitablement la remise en question du rapport de forces entre l’Occident et le reste du monde. Nous n’imaginons pas encore toutes les conséquences que la fin de notre domination politique et économique aura, mais on peut prédire que « ça va secouer » !

Le déclin de la mondialisation, ce n’est pas la fin du monde

En mars 2022 Larry Fink, le très libéral dirigeant du fonds d’investissement BlackRock affirmait : « C’est la fin de la mondialisation ». Cette annonce faite par l’un des grands gagnants de cette mondialisation sonne comme une alerte. Bien installé jusque-là au sommet de la chaîne économique, actionnaire de toutes les multinationales qui ont fait des montagnes d’argent avec la mondialisation, on peut imaginer le niveau de stress qui est le sien face au ralentissement économique qui se profile. Depuis cette date d’autres messages anxiogènes nous ont été adressés, cela ne vous aura pas échappé.

Voici le programme des réjouissances qui nous attend vraisemblablement pour les prochaines années, que nous pourrions baptiser « le grand retour » :

  • Retour vers plus de protectionnisme et plus d’inflation ;
  • Retour progressif du contrôle des changes et des capitaux ;
  • Retour de balancier quant au partage de la valeur ajoutée vers les salariés au détriment du capital ;
  • Retour vers plus de production locale.

Les impacts sur le marché du livre

En ce qui concerne la production de livres, depuis la fin de l’année 2021, les imprimeurs sont confrontés à plusieurs changements majeurs :

  • Le renchérissement des matières premières et de l’énergie ;
  • Le ralentissement des approvisionnements ;
  • L’augmentation des salaires.

Fait nouveau, nos commandes de papier sont parfois soumises à des quotas, basés peu ou prou sur nos consommations précédentes. Cette question serait moins problématique si nous pouvions faire en sorte que les tirages de tête diminuent. En imprimant seulement les livres dont les libraires ont besoin, nous règlerions sans aucun doute une grande partie du problème.

Au point où nous en sommes, nous pensons qu’il vaut mieux résorber les problèmes structurels de l’édition que d’attendre de tiers, c’est-à-dire de l’Etat ou de nos fournisseurs de matières premières, qu’ils fixent des règles encore plus contraignantes.

L’édition doit se réinventer

Plutôt que de subir cette situation, il est possible de faire évoluer le modèle de l’édition vers une meilleure adéquation entre l’offre et la demande. Depuis une dizaine d’années, Rapido propose aux éditeurs une solution de court tirage qui a fait ses preuves. Chaque année notre activité croît quatre ou cinq fois plus vite que le marché. Alors, s’il faut aller encore plus loin pour rendre notre offre plus rapide, plus puissante et plus intelligente, à la mesure des défis qui s’annoncent, nous sommes prêts.

C’est en collaboration avec quelques éditeurs et en prenant en compte le point de vue d’autres acteurs de la filière que Rapido a lancé une expérience d’une nature totalement nouvelle. Depuis plus d’une année, nous testons un système de préparation des commandes avec certains de nos clients, fondé sur leurs inventaires. Cette solution s’appelle EasyRapido. Elle franchira un nouveau cap en 2023. Tous ceux qui l’utilisent déjà n’ont que des commentaires positifs à nous faire, notamment parce qu’elle leur fait gagner beaucoup de temps et qu’elle leur permet de faire des économies.

Pour moi, EasyRapido est la solution idéale.

Je n’ai plus besoin de surveiller mon catalogue de titres (backlist et frontlist) comme je le faisais avant, le système s’occupe de tout pour moi. C’est toujours moi qui ai le contrôle et qui prends les décisions, mais je n’ai plus à faire tout le travail manuel que je faisais avant.

Jay Millar
Co-Éditeur
chez Book*hug Press
Jay Millar

Co-Éditeur

chez Book*hug Press

Ce modèle pour nous, c’est l’avenir. Il doit permettre aux éditeurs de sortir de la logique de surproduction en produisant moins de livres à la fois et en les produisant le plus rapidement possible. Grâce aux progrès que cette méthode nous permettra de réaliser, nous pourrons nous rapprocher progressivement d’une organisation où la production sera raccrochée à la demande plutôt qu’à des prévisions aléatoires. Nous ne devons plus imprimer de livres pour les mettre au pilon !

Jay Millar qui est un homme plein d’humour concluait notre dernier entretien par cette boutade : « Il n’y a qu’une seule chose qui me fait hésiter à recommander EasyRapido à d’autres éditeurs… Je ne voudrais pas que tout le monde connaisse ce grand secret dont je profite ! »

En 2021

%

des réimpressions de Book*hug ont été produites sur les presses de Rapido

différents titres de Book*hug Press ont été surveillés quotidiennement

exemplaires ont été imprimés et livrés sous 3 à 5 jours à leur distributeur

Modernisons nos méthodes

Depuis l’avènement de la méthode Kanban chez Toyota dans les années 1950, nous savons que l’accélération des flux est un facteur de plus grande transparence. Dans une organisation rapide, on voit mieux apparaître les points de dysfonctionnement. S’appuyant sur la méthode des petits pas, cette façon de faire permet à la fois de diminuer les retards et les gaspillages. Le court tirage a vocation à devenir la méthode Kanban de l’édition, ce qui permettra, petit à petit, de réduire les invendus.

Méthode Kanban

Méthode de production industrielle qui consiste à fabriquer uniquement les quantités commandées.

Depuis sa naissance, Rapido Livres dénote dans le paysage de l’impression de livres. Alors que nos confrères rêvent la nuit de best-sellers et d’augmentation des tirages avec des calendriers de production remplis plusieurs mois à l’avance, nous restons convaincus qu’imprimer moins et plus vite représente la meilleure solution pour éviter les invendus, éliminer les gaspillages, et réduire notre empreinte écologique.

Avec l’inflation qui se poursuit, la crise énergétique qui s’annonce et le ralentissement économique qui se profile, nous sommes aujourd’hui persuadés que la stratégie qui avait prévalu à la création de Rapido en 2013, reposant rappelons-le, sur le remplacement des stocks par la réactivité, va devenir un élément incontournable dans le monde de l’édition. C’est une stratégie « antifragile » pour reprendre l’expression de l’économiste Nassim Nicholas Taleb, c’est-à-dire une stratégie qui ne fera que se renforcer au fur et à mesure où l’environnement économique se tendra.